Franck Pouilly en textes et en images...

B: L’hôpital (MAJ 19 avril)

II. L’hôpital

 

 

Dans son souvenir, lorsque le médecin de l’hôpital avait prononcé pour la première fois le nom de Gangligliome, Alexis avait sourit.

 

Pendant les longues secondes de silence qui ont suivi, avant que son père, blême,  pose la question suivante, il avait eu le temps d’imaginer ce ganglio…comme une espèce de monsieur bonhomme, ceux de l’école et de la télé ou de ces petits livres d’enfants. Comme un monsieur glouton ou une madame casse-pied. Un truc rigolo quoi. il ne savait plus de quel couleur ni de quelle forme, mais en tout cas un personnage sympathique, ça c’était sur !

Sauf que celui-là, il ne le connaissait pas, il l’avait jamais vu, n’en n’avait jamais entendu parler et qu’après que le médecin apprit à son père ce qu’il avait comme pouvoir, qui il était vraiment, il ne l’avait plus trouvé sympa du tout.

Je crois bien que c’était la première fois de sa vie qu’on lui parlait de la mort, et aussi que c’était la première fois qu’il avait vu son père pleurer sans ce cacher.

Ce ganglio… machin, avait ce pouvoir là aussi. Il pouvait faire pleurer les gens.

- "Je l’ai toujours haï. J’ai détesté aussi le médecin" disait Alexis.

 

Il avait 18 ans à l’époque du diagnostic et n’était pas plus courageux qu’un autre, n’avait pas plus de force intérieure que le reste des ados. Mais, malgré tout,  il n’avait pas peur.

 

Je crois bien qu’il n’a jamais voulu réaliser ce qui lui arrivait vraiment ou qu’il n’avait tellement pas imaginé ce destin qu’il en arrivait presque à occulter cette put… de maladie.

 

Alexis, malgré cet intrus dans sa tête, menait une vie presque normale.  Il haïssait tellement son ganglio... , que dans son esprit, ça le rendait insignifiant, inexistant. Il ne le craignait pas.

 

Bien sur qu’il en souffrait, bien sur qu’il y a eu les traitements, les douleurs, les rendez-vous à l’hôpital, les examens, les perfusions, les nausées et tout le reste. Tout ce qui permettait de limiter la progression de cette cochonnerie en lui, il y a eu droit. Ainsi que tous les effets secondaires qui vont avec.

Il était combatif, mais il savait au fond de lui qui n’en viendrait jamais à bout.

Ça, son père et lui le savaient. Le combat était inégal.

 

Sans pour autant connaitre le moment, Alexis savait que son père, dans un avenir plus ou moins proche, devrait se passer de lui. Guillaume et lui en avait conscience, mais jamais il en abordait le sujet, jamais ils ne laissaient ce ganglio prendre le pas sur leurs vies, sur leurs échanges, sur leur amour.

 

Cette part là, cette putain de tumeur, elle ne l’aurait jamais. Elle avait perdu d’avance ; L’attachement entre Guillaume et Alexis était bien trop fort pour elle.

 

Puis, il a démarré le traitement...

 

Au début, à l’hôpital, il passait ses séances de chimio comme les autres. Assis sur un fauteuil, ou sur un lit, selon les disponibilités.

Parfois, il partageait un espace commun avec 4 ou 5 personnes.

Pour cette dernière contrainte, au départ il était très réticent, puis, finalement, il s’avérait que c’était encore la moins ennuyeuse des solutions.

 

Il pouvait discuter, partager des astuces pour supporter au mieux le traitement, et surtout avoir des conversations quelconques sur tout. Au bout de compte, ils étaient tous dans la même situation, ils n’avaient pas honte d’eux même. Ça leurs permettaient de parler de leurs maladies sans tabou, et de se sentir normaux et ordinaires.

 

Avec le temps, Alexis se sentait de plus en plus à l’aise dans les lieux. Quand il le pouvait, selon son état, il se baladait dans le service, visitait les autres chambres, surtout celle des enfants plus jeune que lui. De ces visites, de ce réconfort, c’était eux qui en avaient le plus besoin.

 

Lors ses passages à l’hôpital de jour, il profitait pour s’occuper des gamins. De ces « tio » comme il disait.

Ces petits êtres si jeunes et déjà si malades.

Il leur construisait des maisons en lego ou en bois, des avions et des moulins en k’nex, leur lisait des histoires. Il Les maquillait parfois, mais là, ce n’était pas vraiment sa vocation.

 

Chez lui, il avait confectionné des étiquettes adhésives avec des prénoms et chacun avait droit à la sienne qu’il collait sur sa blouse d’hôpital.

Celle d’Alexis, c’est une petite fille qui l’avait faite, avec plein de petit cœur en guise de décoration.

 

Petit à petit, il avait pris possession de la ludothèque, c’était devenu son domaine. Et par la force des choses il s’entourait de plus en plus de ces « tio ». Il devenait populaire.

 

Le théâtre de marionnettes avait de nouveau ouvert ses portes, et grâce à lui, tout le service reprenait vie et effervescence.

Quand Alexis était présent, les heures où il leur inventait et mettait en scène des histoires abracadabrantes agrémentées de sorcière, de gentilhomme, de  princesse, ou de clowns, toute la noirceur de la pièce volait en éclat. Les sourires des enfants en avait ce pouvoir.

 

Il faisait la lecture de contes ou de bandes dessinées, tantôt à quatre pattes, tantôt pigmenté de grand geste. Il avait réussi, à force d’insistance,  à obtenir des tuyaux de catétaire suffisamment long pour ne pas entraver ses grands mouvements et ses gesticulations.

Il avait même écrit ses propres histoires.

En fin de compte, ce sont celles là qu’il préférait raconter. Il les vivait pleinement.

 

La joie des enfants, garçons ou filles, faisait disparaître pour un temps la tristesse de l’endroit. Les sourires des gamins en avait ce pouvoir.

 

Au départ, dans la ludothèque, il n’y avait pas beaucoup de spectateur. Mais devant le succès de la rigolo-thérapie-alexienne, il avait fallu pousser les meubles, pour faire de la place aux fauteuils ambulatoires et aux portiques.

 

Alexis, la plupart du temps d’asseyait par terre. Les infirmières avait eu beau insister pour l’en dissuader, rien n’y faisait. Finalement, l’obstination d’Alexis avait eu raison de leurs sollicitations, au bout du compte, il le laissait gérer tout seul. Apres tout, comme il le disait lui-même, il ne pouvait pas tomber plus bas !

 

Donc, assis en indien, appuyé sur une bibliothèque, il s’offrait tout entier aux enfants. Il n’aurait surtout pas voulu prendre de la hauteur vis-à-vis d’eux. Il était, dans la ludothèque, une sorte d’animateur de centre aéré, un gars sympa et accessible.

A la fois un amuseur public, un troubadour, un comédien et un grand frère. Il s’adaptait en fonction du besoin.

 Alexis ne jouait pas un rôle, tout ça lui venait naturellement. Il se partageait. Chacun des enfants avait droit à un petit morceau de lui, un peu chaleur, sans distinction.

 

Le regard des autres, surtout des parents, changeait également. Des têtes et visages nus, voilé parfois, ce qui ressortait le plus c’était les yeux, les yeux grands ouverts, magnifiques et remplis d’enchantement. Durant ces quelques heures, ces grands moments d’amour, la tristesse disparaissait. C’était extraordinaire.

 

Parfois il arrivait à Guillaume d’assister aux spectacles, le plus souvent dans la pièce, mais parfois derrière la vitre. Quelquefois, il pleurait en regardant son seul fils capable de distribuer autant de tendresse et de bonheur. Il savait que son gamin devait faire preuve d’une volonté exceptionnelle pour être capable d’oublier sont propre état durant ses séjours d’hospitalisation. Ça le bouleversait.

 

Mais, il y avait un revers à tout ce déballage de bonheur.

 

Hormis le fait qu’Alexis ne supportait pas le traitement, quand il rentrait le soir, seul dans son lit, il sanglotait, hurlait en sourdine, comme si, dans son oreiller, il devait évacuer par ses pleurs et  par ses cris toute la douleur et les larmes des autres accumulées tout au long de la journée. Une fois vidé de tous ces maux, il s’endormait.

Au matin, il était prêt à repartir pour de nouvelles croisades.

 

Le moment le plus terrible, quand il venait à l’hôpital, après qu’il eu prit l’habitude du regard des gens de la rue, était d’affronter la perte d’un de ces gamins.

On a beau faire, avec de l’amour et du bonheur, on ne gagne pas face à cette putain de maladie.

Dans ces moments là, les plus répugnants, après qu’il eut pleuré dans la cage d’escalier ou les cabinets, il se sentait impuissant, ne croyait plus en lui. Puis la colère prenait le pas sur l’émotion. Et du coup, après avoir frappé les murs, il repartait plus fort encore et de plus belle dans ses représentations théâtrales même s’il devait baisser la tête et cacher ses yeux rougis derrière la visière de sa casquette new-yorkaise, pour ne pas faire ressentir sa tristesse à ses petits protégés.

 

Il se sera battu, Alexis. Il aura était un grand guerrier. Même si l’on dit que personne par la guerre de ne devient grand. Le cancer, cette fois, aura eu un adversaire vraiment redoutable.

 

Car bon grés, mal grés, Alexis dut espacer ses visites à l’hôpital. Le traitement lourd, les effets non désirés, le fait d’être encore plus et toujours plus malade.

L’arrêt du traitement fut décidé. Guillaume et lui en avait décidé ainsi.

 

Je pense que la difficulté de se voir dans la glace après que l’ hyperpigmentation eut fait l’apparition sur son doux visage, l’impression que les autres ne voyaient plus que cela et surtout que les enfants ne puissent plus voir autre chose, tout ça, avait raison au fil du temps de sa détermination.

 

Il avait beau inventer une histoire sur un personnage léopard ou de dalmatiens, la magie ne prenait plus comme il le fallait. Lors des dernières visites, les « tio » étaient plus attentif à ses défauts qu’a ses élucubrations. Leurs regards avaient changé. Ils avaient peur, et du coup, avaient peur de la maladie. La rigolo-thérapie ne marchait plus. Avant que celle-ci ne transforme en tristo-thérapie, il fallait donc tout arrêter et surtout, par-dessus-tout,  tout arrêter avant que les enfants en souffre. Protéger encore et toujours les « tio », sans penser à soit…abandonner son rôle de ludothécaire pour le bien de ses pauvres petits.

 

Dans le cœur d’Alexis, ce fut un effroyable déchirement…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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11/09/2014
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