Ballade Imaginaire en Provence
Histoire de montagne
Il est des dimanches pluvieux dans le Nord de la France où l’on laisse vagabonder son imagination, au point d’accomplir de formidables voyages sans sortir de chez soi.
En voici une illustration …
C'était aux aurores, au moins d’août.
À mon réveil, la vallée était baignée d'une brume matinale, caractéristique de l’aube estivale et annonciatrice d’une chaude journée.
Dans la cuisine, seul, installé à la table de Mélèze, je déjeunais de pain rond, cuit la veille, et de confiture de figues. L’odeur du café frais emplissait la pièce. Le soleil du matin, à travers les volets, repeignait les murs de plâtre de couleurs orangées et de décors de dentelles grossières. Le tic-tac de la pendule donnait à la maison une atmosphère paisible et berçait doucement mon repas.
Dehors, quelques Moineaux se disputaient des restes de tartines en piaillant.
Après le petit déjeuner, je me préparais. Puis, sac et bâtons sur le dos, chaussures de marche aux pieds, je quittais la maison silencieuse. Je fermais la porte derrière moi, avec une discrétion excessive.
Sous la lumière jaunâtre d’un soleil à demi réveillé et dans des odeurs de thym sauvage, je partais en promenade.
La ruelle dans l’ombre avait un parfum de pierre humide. L’air était frais.
Une petite brise matinale embrumait les herbes hautes et les chardons des parterres. La fraicheur du matin créait sur les toiles tendues de minuscules gouttelettes argentées. Sur les fleurs de Gazania encore pleines de rosée, de courageuses abeilles commençaient leur journée de labeur.
Le bruit de mes chaussures résonnait dans les ruelles. Le balancement de mon barda rythmait ma démarche. Rompant avec les habitudes qu’ont les gens de la ville à toujours être pressés, je ralentissais le pas. L’esprit en vacances, je m’en allais découvrir aujourd’hui de nouveaux paysages, de nouvelles senteurs, me fabriquer quelques souvenirs.
Je passais la petite église et son frêle clocher de pierre, chapeauté d’ardoise. Sur la placette, je m’arrêtais à la fontaine de brique foraine pour y puiser de l’eau pour le restant de la matinée.
Derrière le calvaire, après le muret, je remontais la petite rue du village qui mène au sentier des vignes.
Un peu plus haut, le long de la muraille, je m’arrêtais pour contempler le bourg en contre-pas.
Les rues étaient désertes et paisibles, le village tout entier m’appartenait.
Poursuivant mon chemin, saluant au passage d’un clignement d’yeux l’habitant de la petite chapelle, j’empruntais maintenant une petite route de terre battue qui menait vers le parc et le bois.
Le parc était presque désert. Des bancs solitaires, à l’ombre des catalpas, observaient le manège des garennes sur la pelouse.
Un couple de pies bavardait à côté des jeux pour enfants.
Le long du chemin bordé de chênes verts et d'essence méridionale, je marchais, presque seul. Le bruit de mes pas rompait la monotonie du chant de quelques mésanges charbonnières.
Au loin, quelques geais se querellaient pour un bosquet. À travers leur territoire, par un sentier rocailleux, je rejoignais la direction de la montagne.
Je poursuivais mon itinéraire, la forêt s’ouvrait à présent à moi. Le sentier était sombre, la lumière traversait les arbres et formait au sol des ombres mystérieuses. Le chemin montait. Mon chien, truffe au sol, emmagasinait dans ces glandes olfactives, de nouvelles odeurs. S’arrêtait pour mieux examiner les pierres, les cailloux, les sépultures de terre. Y aurait-il eu d’autres visiteurs avant nous ?
Un parfum de terreau et de champignonnière embaumait le sentier. Dans le talus, des êtres invisibles fuyant devant notre arrivée, bousculaient les brindilles et les feuilles, mortes de l’automne dernier.
Le bas côté offrait une vue interminable sur une pente que descendaient des rangées de sapin.
Le décor paraissait éternel, je souriais devant tant de beauté.
Après une heure de montée et de long effort sur mes quatre pieds, j’aboutissais sur un petit plateau ensoleillé. Le foin fraichement coupé laissait échapper, à mon passage, quelques perdreaux apeurés.
J’atteignais bientôt mon but.
Puis, enfin, trois mille pieds au dessus de tout, la crête du rocher blanc, comme sur le mont soleil[1], m’offrait une vue imprenable sur toute la vallée. Je m’assis sur son granit au milieu du thym, me coupant du monde, du temps et je vagabondais dans ce panorama grandiose...
Ah, ce parfum de montagne que j'aime tant...
De mon rocher, de ma hauteur, je survolais le paysage. J’emplissais ma vue de ces images superbes.
Chaussant des yeux d’aigle. Je traversais les champs et les cultures, franchissais les clôtures, remontais la rivière, gravissais la montagne, je planais en rase-motte au-dessus de tout.
Peyre martoine telle une montagne de la scie, montagne de la Civette telle un Mouisset1, Lumalou tel un riou clair1.
Je reconnaissais tout et pourtant je n’y étais jamais venu.
Je remontais le cours d’eau pour aboutir sur un pont de silex.
De mon caillou, je pénétrais dans le village que j'imaginais ressemblant à un d’autres villages du sud. Je le voyais comme un Breziers1, un Venterol1. Un de ces villages posés sur une ligne de vie et de rivière.
J’imaginais sa vue sur les montagnes. Je pouvais voir les ruelles montantes, les maisons de pierres que quatre cents âmes ont bâties. Je descendais la rue jusqu'à la route au pied des vignes puis je remontais dans l’allée d’une maison.
Un mas provençal planté au beau milieu des vignes, s’offrait tout entier au soleil. La toiture ocre était baignée de ses rayons, les murs éclataient de blancheur.
Les volets étaient ouverts, et les fenêtres ne laissaient découvrir que des pièces sombres, apparemment sans vie.
Dans le jardin, les fleurs dessinaient des formes de couleur chatoyantes que saluaient des oliviers centenaires.
Des remparts minuscules de pierre sèche entouraient la propriété. Offrant une défense dérisoire à la faune de la vallée.
Sur la terrasse de quartzite étaient installés deux chaises et un guéridon de fer forgé sur lequel des bols attendaient d’être desservis.
Le linge qui pendait dehors se balançait doucement sur son fil en veillant sur des petits enfants qui jouaient à la balle sur l’herbe sèche avec leurs chiens.
Je songeais à l’existence paisible que l'on devait avoir ici et comme ils devaient être heureux les gens qui ont choisi de vivre là-bas.
Je restais un long moment à observer les maisons, les vignes, les montagnes. Les mains posées sur le front en guise de visière pour ne rien manquer du panorama. Je m’imprégnais de tout.
Puis je quittais mon rocher, emportant quelques branches de thym comme maigre souvenir palpable et je repartais à la fois triste et heureux.
Heureux d’avoir pu admirer tout cela mais triste par ce que j’allais, sans doute, ne plus jamais revoir. En me retournant, je m’arrêtais quelques secondes, pour contempler une dernière fois ce paysage et je reprenais le chemin de la maison.
Bien évidemment, le chemin de retour me parut plus long, plus sombre. La magie des paysages autour de moi ne parvenait plus à m’émerveiller. Pauvres paysages, à ce moment-là, je n’arrivais plus à les aimer.
Le soleil était à son zénith, il commençait à faire très chaud, j’avais presque hâte de rentrer chez moi.
De retour au village, assis sur la fontaine, j’essayais de retrouver les chemins que j’avais empruntés. Sans succès. Je ne revoyais ni mes sapins, ni mes sentiers rocailleux. Je ne reconnaissais pas même mon rocher.
J’établissais donc un pacte avec la montagne en lui promettant d’y retourner.
Je ne tenu pas ma promesse…
Les vacances terminées, j’allais bientôt retrouver le cours de ma vie ordinaire, loin des villages, loin du soleil, loin du Sud. Très loin de mes montagnes.
Il me reste quelques bons souvenirs de cette escapade et quand il m’arrive d’en avoir la nostalgie, je m’installe confortablement dans mon fauteuil, je ferme les yeux et je parviens parfois à leur rendre visite…
Voilà, cher lecteur, à quoi je pense certains jours de pluie. Voilà où trop d’imagination peut mener.