Franck Pouilly en textes et en images...

illusion

Illusion

 

 

Ce matin, après avoir déjeuné et rempli mon devoir paternel en conduisant ma fille au collège, je me rendais à mon sempiternel rendez-vous : les bords du canal.

 

En passant devant la mairie, je jetais, comme d’habitude, un long regard sur le jardin d’enfants et sur le parc.

Ce réflexe, me restera longtemps, Il me semble. J’aurais sans doute, toujours une pensée en passant prés de cet endroit.

 

Je dépassais le croisement qui mène à l’école sainte Thérèse, prés du clos, où les marguerites fleurissent parfois en Mai.

 

Puis je suivais la route en attardant le regard sur le catalpa, le platane et le chêne que je voyais grandir et que j’avais pris l’habitude de considérer depuis plusieurs printemps déjà.

 

 

Le pont n’était plus très loin, je prenais la petite route de terre et je me garais sur le bas coté.

Sorti de voiture,  je descendais vers le canal.

 

Je passais sous le pont, en effrayant au passage quelques pigeons qui nichaient dans les contreforts métalliques, puis j’empruntais le chemin de halage vers la gauche. Un chemin qui ne mène nulle part. Presque nulle part...

 

Je poursuivais sur deux cents pas, pour apercevoir les palissades taguées et bariolées d’une fabrique désaffecté, puis obliquant sur ma gauche,  j’empruntais un petit sentier presque invisible, tant il était envahi par la végétation. Je connaissais bien ce chemin pour y être venu quelques temps auparavant.

 

Je continuais quelques minutes, longeant les cultures d’un coté, la végétation en friches de l’autre, les palissades écroulées, pour arriver plus loin au pied d’un arbre mort, fléchi par l’humidité et  les intempéries consécutives, qui formait une arcade par dessus le sentier. Une sorte de passage, une étape.

 

Si bien que je n’allais pas plus loin.

 

Curieusement, quelqu’un, quelqu'une, avait formé dans la végétation,  une espèce de composition de béton et de vieilles tuiles. Une sorte de stèle désuète.

 

Un monument triste et beau à la fois, fait avec les moyens du bord, sur lequel une seule grande  initiale était sommairement gravée en rouge brique. Non pas en son centre, mais en décalé, comme si l’on y avait laissait une place à coté. Un peu comme pour une pierre tombale qui attend un deuxième nom.

Et sur ce béton, plus bas, une date presque illisible.

 

 

Pourquoi à cet endroit, pourquoi sur ce passage…mystère. Personne n’y passe jamais…Qui pourrait bien y venir, qui pourrait bien le voir ?

 

Dans ma curiosité,  je remarquais tout de même une chose un peu surprenante.

Un peu plus loin, derrière la plaque de béton, des morceaux de tuiles éparpillés sur lesquels gisaient quelques marguerites fanées.

Elles n’y avaient pas leur place. Aucune de ces fleurs ne poussaient dans ce sous bois. on les y avait forcement amenés.

 

Mais pourquoi cueillir des fleurs pour les jeter de la sorte, ça n’avait aucun sens.

 

 

Alors moi, bien sur, j’imaginais donc autre chose…

 

Sur la pierre, peut-être manquait-il une gravure, une initiale. Peut-être aussi les marguerites avaient étaient mise la délicatement. Peut-être même par amour.

Sans doute qu’à l’origine, les morceaux de tuiles formaient un écrin pour les fleurs, comme pour leur apporter un peu de fraîcheur, pour les conserver plus belles, plus longtemps.

Mais pourquoi quelqu’un aurait-il fait ça. De nos jours, ces gestes n’existent plus, même par amour. Mon imagination voyait surement trop loin…

Mais qui sait, un amour s’était peut être créer au hasard d'une rencontre, un matin, un après midi. Dans un parc public, prés des arbres des fleurs et des jeux d'enfants.

 

Sans doute un garçon, transi d'amour, avait-il voulu offrir à sa belle un endroit rien qu'a eux, loin des regards. Un rendez-vous romantique dans la pénombre du sous-bois.

 

En tout cas maintenant tout avait été démoli. Un passant indélicat avait surement, soit par amusement, par vengeance, tout flanqué par terre.

Quel plaisir peut-on avoir à démolir les sentiments des autres. A piétiner les marques d’affections. A moins que ça soit notre mystérieuse inconnue à l’initiale manquante qui avait tout anéanti. Je ne saurais jamais.

 

En tout cas, moi, à la place du créateur de l’ouvrage, voyant qu’en ensemençant de l’amour, je  ne ramassais de la haine,  frustré,  j’aurais surement tout démoli, tout mis à terre, recouvert de branches, de terreau, de lierres et d’orties pour oublier ce misérable endroit. Et je l’aurais définitivement oublié, et tout ce qui allais avec lui.

 

Je repris le chemin du retour, avec à la main, les tristes marguerites que j’avais ramassée. Puis sur le chemin de halage, dans le canal, je les lançais dans le courant, comme pour leurs donner l’occasion de finir leurs vies moins tristement.

 

Je ne sais pas ce qu’il en est advenu, de l’endroit, de la plaque, je n’y suis jamais retourné.

Je ne sais pas non plus ce que sont devenus les êtres pris dans cette tourmente.

 

Maintenant, peut-être tout cela est le fruit de mon imagination, aucun amour n’a jamais existé à cet endroit. Le béton, les tuiles les marguerites, toutes ces choses sont peut-être arrivées là par hasard, comme on trouve parfois des choses dans les terrains vagues. Déposé par un ou plusieurs inconnus.

 

Mais personnellement, pour la beauté de l’histoire, je préférais penser qu’il y avait de l’amour là dessous… Du moins, j’en ai l’illusion…

 



21/07/2011
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